Dans un monde transformé par l’intelligence artificielle, l’Afrique se trouve à un tournant décisif. L’enjeu n’est plus de « rattraper » le reste du monde, mais de prendre l’initiative, d’écrire notre propre récit technologique. Comme je l’ai rappelé lors de la 4ème édition de l’African Startup Conference (ASC) qui a eu lieu à Alger (Algérie) du 06 au 08 décembre 2025 : « Africa’s future with AI is not about catching up, but about leapfrogging, not a question of adoption, but of authorship and collective Ownership. »
Aujourd'hui, alors que l'IA remodèle les économies, les sociétés et les rapports de force internationaux, l'Afrique se trouve à la croisée des chemins.
Soit nous devenons des consommateurs passifs de technologies créées ailleurs, renforçant ainsi notre dépendance, soit nous choisissons de devenir les architectes de notre avenir numérique, en tirant parti de l'IA comme d'un outil permettant de renforcer notre souveraineté, de stimuler l'innovation locale et d'interconnecter nos écosystèmes. L’Afrique dispose déjà des ressources fondamentales : créativité, data, jeunesse, résilience, réseaux d’innovation. Ce qui manque encore, c’est une vision structurée et une approche basée sur l’Open Innovation, les communs numériques et la philosophie du logiciel libre.
Afin de formaliser des fondamentaux essentiels pour bâtir une intelligence artificielle réellement africaine, notre positionnement doit être guidé par trois impératifs stratégiques :
1. Faire de l’IA un pilier de la souveraineté numérique africaine
La souveraineté numérique n’est pas un slogan. C’est la capacité d’un continent à contrôler sa donnée, ses infrastructures et sa création de valeur.
Gouvernance & propriété des données
L’Afrique génère des données de haute valeur dans l’agriculture, la santé, la mobilité, l’énergie.
Transformer cette ressource en avantage stratégique exige :
- des politiques de localisation des données,
- des infrastructures numériques souveraines,
- une gouvernance alignée sur les réalités africaines.
L’open source comme fondation de l’IA africaine
Les modèles IA locaux doivent être bâtis sur :
- des langages africains,
- des jeux de données africains,
- des valeurs africaines.
L’open source permet exactement cela :
transparence, adaptation locale, indépendance, et souveraineté technologique.
C’est une approche cohérente avec la tradition africaine du partage, de la communauté et des communs, que l’on retrouve dans les pratiques de palabres, d’apprentissage collectif et de transmission.
Construire des alliances stratégiques Sud-Sud
L’Afrique doit se positionner comme co-créateur, non comme simple marché.
D’où l’importance de coopérations structurées avec l’Inde, le Brésil, l’Asie du Sud-Est, autour :
- du développement de modèles IA open source,
- du transfert de technologies,
- de la mutualisation des compétences.
2. Une IA au service de l’innovation ouverte et de la création local
L’IA n’est pas seulement une technologie, c’est un catalyseur d’innovation et de transformation économique.
Passer de la consommation à la création
Les startups africaines doivent intégrer l’IA pour répondre à nos défis :
- sécurité alimentaire et agriculture intelligente,
- inclusion financière,
- résilience climatique,
- cybersécurité,
- santé communautaire,
- transformation de l’éducation.
C’est l’essence d’une innovation ouverte, où solutions, connaissances et technologies circulent entre startups, universités, hubs, communautés et institutions.
Construire des compétences IA à grande échelle
Pour réussir, il faut :
- des académies IA,
- des programmes hybrides université–terrain,
- l’implication des hubs technologiques africains,
- des immersions dans les entreprises IA les plus avancées au monde.
Innovation et commande publique
Les États et grandes entreprises doivent adopter des politiques d’achat favorables aux innovations locales. L’IA africaine ne pourra émerger sans une demande locale forte.
Soutien à la recherche deep-tech et aux communs numériques
L’Afrique doit investir dans :
- des GPU clusters accessibles,
- des financements de recherche,
- des laboratoires ouverts,
- des espaces de test (regulatory sandboxes),
- des projets communautaires open source.
3. Vers une stratégie panafricaine d’accélération de l’intelligence artificielle
Le développement de l’IA ne peut pas être fragmenté. Il exige une intelligence collective, une approche continentale, et des écosystèmes interconnectés.
Un réseau panafricain des écosystèmes IA
Créer un réseau réunissant :
- hubs d’innovation,
- universités,
- centres open innovation,
- laboratoires open source,
- startups IA.
L’objectif : accélérer l’adoption, le déploiement et le scaling des solutions.
Intégration régionale et circulation des innovations
Une solution créée à Lagos doit pouvoir être adoptée à Kigali, Dakar, Accra ou Tunis.
Les programmes de mobilité des startups, les concours panafricains et les plateformes d’échange sont cruciaux.
Des plateformes IA africaines mutualisées
Pour réussir, l’Afrique doit construire des plateformes continentales autour de :
- l’agriculture intelligente,
- la santé numérique,
- l’éducation augmentée,
- la cybersécurité.
Un fonds panafricain pour l’IA
Ce fonds doit être co-financé par :
- les États,
- les investisseurs institutionnels,
- la diaspora tech,
- les grandes entreprises africaines.
L’Afrique n’a pas besoin d’attendre. Nous avons déjà les talents, les données, les communautés open source, les écosystèmes d’innovation ouverte. Ce qui manque : une ambition partagée et une stratégie collaborative. Je suis convaincu que les prochaines grandes innovations en intelligence artificielle émergeront non de la Silicon Valley, mais : d’Abidjan, de Dakar, de Tunis, de Kigali, de Lagos ou de Nairobi. Parce que lorsque l’intelligence africaine rencontre l’intelligence artificielle, alors naît une intelligence augmentée, souveraine et universelle.
Florent YOUZAN







