Dans l’histoire des grandes ruptures technologiques, les échecs les plus graves ne sont pas toujours ceux liés à un manque de moyens, mais ceux liés à un manque de vision et de courage stratégique. En matière d’intelligence artificielle, l’échec que l’Afrique ne peut pas se permettre n’est pas de prendre du retard technologique ponctuel, mais de renoncer à être actrice de sa propre trajectoire.
Le scénario le plus dangereux serait celui d’une Afrique réduite au rôle de fournisseur de données brutes et de marché de consommation pour des technologies conçues, gouvernées et valorisées ailleurs. Dans ce scénario, l’IA amplifierait les asymétries existantes : dépendance économique, vulnérabilité politique, perte de contrôle sur les services essentiels. Ce ne serait pas un simple retard ; ce serait une forme de dépossession silencieuse.
Un autre échec majeur serait la fragmentation durable du continent face à l’IA. Des stratégies nationales isolées, des infrastructures dupliquées, des talents en concurrence plutôt qu’en coopération conduiraient à une dilution des efforts. L’Afrique deviendrait alors un archipel technologique incapable de peser collectivement dans les débats mondiaux sur les normes, l’éthique ou la gouvernance de l’IA.
L’Afrique ne peut pas non plus se permettre une IA sans ancrage social. Une IA perçue comme un outil de surveillance, d’exclusion ou de reproduction des inégalités perdrait rapidement sa légitimité. Sans confiance citoyenne, aucune transformation technologique n’est durable. L’échec serait alors politique autant que technologique.
Enfin, le plus grand risque serait l’inaction déguisée en prudence. Attendre des cadres parfaits, des technologies matures ou des consensus globaux reviendrait à laisser d’autres décider pour nous. L’IA évolue trop vite pour être abordée avec des réflexes bureaucratiques classiques.
L’échec que l’Afrique ne peut pas se permettre n’est pas de se tromper, mais de ne pas essayer, de ne pas choisir, et de ne pas assumer sa responsabilité historique dans la définition de l’IA de demain.
Florent Youzan