Où l’Afrique doit-elle prioriser ses investissements dans la chaîne de valeur de l’IA ?

La souveraineté en intelligence artificielle ne peut pas être pensée comme une accumulation indistincte d’investissements technologiques. Elle impose un choix stratégique clair sur les maillons de la chaîne de valeur où l’Afrique peut créer un avantage comparatif durable, compatible avec ses contraintes économiques et ses ambitions géopolitiques.

La tentation est grande de vouloir investir simultanément dans les infrastructures de calcul, les modèles de fondation, la recherche fondamentale et les applications. Pourtant, aucune région ne s’est imposée dans l’IA sans priorisation. Pour l’Afrique, l’erreur serait de tenter une reproduction mimétique des trajectoires de la Silicon Valley ou de la Chine, qui reposent sur des décennies d’investissements massifs en semi-conducteurs, énergie et capital-risque profond.

La première priorité stratégique doit être la donnée. L’Afrique génère une richesse exceptionnelle de données dans des secteurs clés : agriculture, santé, climat, mobilité, finance informelle, éducation. Ces données sont aujourd’hui largement sous-structurées, peu protégées et souvent valorisées hors du continent. Sans politiques claires de gouvernance des données incluant standards d’interopérabilité, infrastructures de stockage locales, cadres juridiques de partage sécurisé aucune souveraineté en IA n’est possible. La donnée est le socle sur lequel repose toute capacité algorithmique. Sans maîtrise de ce socle, les modèles ne font que reproduire des dépendances.

La deuxième priorité concerne les modèles et algorithmes contextualisés. L’enjeu n’est pas de créer des modèles généralistes concurrençant les géants globaux, mais de développer des modèles spécialisés, frugaux et multilingues, capables de fonctionner dans des environnements contraints. L’Afrique a ici une opportunité unique : concevoir des IA pensées dès l’origine pour des contextes de faible connectivité, de pluralité linguistique et de coûts limités. L’open source n’est pas un choix idéologique, mais un levier stratégique pour mutualiser l’effort de recherche, accélérer l’adoption et éviter l’enfermement technologique.

La troisième priorité est le pilotage par les cas d’usage, et non par l’infrastructure. Les investissements en capacités de calcul doivent être justifiés par des besoins concrets à fort impact socio-économique : optimisation des rendements agricoles, diagnostic médical assisté, scoring financier alternatif pour l’inclusion, éducation personnalisée à grande échelle. Ce sont ces usages qui doivent déterminer la taille, la localisation et la gouvernance des infrastructures de calcul, et non l’inverse.

Enfin, les infrastructures lourdes data centers, GPU clusters, cloud souverain doivent être envisagées de manière progressive et régionale, via des mutualisations entre États, universités et acteurs privés. La souveraineté africaine en IA ne se construira pas pays par pays, mais par des pôles régionaux interconnectés.

La souveraineté n’est pas la maîtrise de toute la chaîne, mais la capacité à contrôler les points où se crée la valeur et où se décide l’autonomie stratégique.